Médiator : la Justice, pour que le scandale ait été utile (Rue89)

La FNATH, AMALYSTE et M. Jean-Pierre Sueur, Sénateur du Loiret, ont publié une tribune commune dans Rue89.

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Les pouvoirs publics cherchent à nous convaincre, pour couper court à toute réforme d’envergure, que le scandale du Mediator serait le premier d’une telle ampleur. Ne nous laissons pas abuser, depuis de longues années, les scandales sanitaires se succèdent : ThalidomideDistilbène, Mediator… A chaque crise particulière, notre société tente, au mieux, d’apporter une réponse spécifique. Au pire, de l’oublier.

Du précédent dans les scandales sanitaires

Le traitement sans cohérence des drames sanitaires conduit à une injustice et à une discrimination majeure. La surmédiatisation de l’affaire Mediator est à la mesure du silence que les autres victimes doivent supporter. On ne peut accepter le déni actuel à l’endroit, entre autres, des victimes du Distilbène, alors que cette histoire exemplaire est aujourd’hui enseignée comme « modèle » des erreurs à ne pas commettre.

Ce produit, administré en masse aux femmes enceintes jusque dans les années 1980 (1977 en France), a la particularité perverse de toucher non seulement les consommatrices, mais essentiellement leurs enfants, voire leurs petits-enfants.

Évoquons également les victimes des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson, réactions rares aux médicaments, provoquant des atteintes gravissimes sur la peau et les muqueuses. Il est inconcevable que toutes ces victimes doivent – parce que leur pathologie est due à un autre médicament – être les « oubliées » de l’indemnisation.

Victimes : le parcours du combattant

Sans avoir d’autre choix, toutes les victimes ont à supporter, à leurs frais et dans le silence des médias, des années de procédure individuelle, d’expertises et de contre-expertises pour espérer obtenir enfin une reconnaissance de responsabilité et une réparation de leur préjudice. Au bout du chemin, certaines découvrent que parce que le risque était signalé dans la notice, elles n’ont aucun recours légal. Et se voient déboutées.

Pourtant, comme pour le Mediator, les effets indésirables été démontrés. Les dommages irrémédiables causés à leur santé sont le fruit de médicaments ou de dispositifs qui ont été validés par les autorités administratives et politiques, et financés par la collectivité. Le médicament constitue un progrès indéniable pour notre société, et l’industrie pharmaceutique contribue à la richesse nationale, mais la gravité de certains effets dit « secondaires » est à la mesure des avantages procurés.

Une « mutualisation » du risque serait logique

Aujourd’hui, pourquoi ne pas utiliser le scandale du Mediator pour obtenir une réponse générale permettant l’émergence d’un principe de responsabilité globale fondée sur le risque lié à la prise d’un médicament ? Le gouvernement doit se saisir de cette affaire comme d’un levier pour progresser vers une réponse sociale définitive à un risque collectif avéré.

Le profit tiré de la commercialisation d’un médicament est assuré par la solvabilité qu’apportent aux laboratoires pharmaceutiques les remboursements de la Sécurité sociale, laquelle est financée par l’ensemble des contribuables et assurés sociaux. Il ne serait donc pas choquant que, comme pour les risques professionnels, le coût d’indemnisation des victimes soit automatiquement supporté par les entreprises à l’origine de la création du risque. La mutualisation d’un risque collectif, supportée par les laboratoires pharmaceutiques qui en sont à l’origine, présenterait un double avantage : garantir aux victimes une indemnisation rapide, mais aussi, inciter ces entreprises à promouvoir une politique de prévention.

L’effet dissuasif des « class action »

Le scandale du Mediator devrait être également l’occasion de donner aux victimes les moyens de se défendre en permettant des actions judiciaires collectives. L’absence de procédure collective (« class action ») rend le combat bien inégal. Alors que les victimes des scandales sanitaires n’attendent que cela, pourquoi avoir totalement évacué ce sujet des Assises du Médicament ? S’il est sûrement intéressant de réfléchir des heures à la charte de déontologie des visiteurs médicaux ou à la formation continue des médecins, l’effet d’autorégulation induit par l’épée de Damoclès que représentent les « class action » pour un laboratoire pharmaceutique serait, lui, immédiat.

Le choix reste maintenant ouvert : soit notre société apporte une réponse définitive à la responsabilité des médicaments, soit nous reverrons dans quelques années, voire quelques mois, émerger un nouveau scandale sanitaire. Victimes et citoyens, nous attendons une réaction d’envergure et une solution véritablement politique. Sans quoi le Mediator n’aura été qu’un scandale de plus.

Avec Sophie Le Pallec, présidente de l’association Amalyste, Anne Levadou, présidente de l’association Réseau D.E.S. France, Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret.

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Refonder la gestion du risque médicamenteux grave

A l’occasion de scandale du Mediator, AMALYSTE s’immisce dans le débat et propose de refonder la gestion du risque médicamenteux grave

L’affaire du Médiator remet en question la gestion du risque médicamenteux dans son ensemble. Il était temps : les accidents graves liés aux médicaments seraient la cause d’au moins 13 000 morts annuels, derniers chiffres admis officiellement par les autorités… en 2001.Les médicaments, que leurs risques soient connus ou non au moment de leur mise sur le marché, sont autorisés et maintenus sur le marché au nom du « rapport bénéfices-risques ». Ce concept, adopté par l’ensemble des acteurs (médecins, laboratoires, pouvoirs publics, régulateur…,) est LE sésame de la mise sur le marché d’un médicament et de son maintien.

Cette idée, séduisante sur le papier, s’est révélée insuffisante, voir scandaleusement inefficace dans le cas du Mediator. La raison de cet échec ne réside pas, de notre point de vue, dans le fondement de ce concept de « rapport bénéfice-risque », mais plutôt dans son application, qui n’a pas encore été pensée à la hauteur de l’enjeu, en termes scientifiques, éthiques et juridiques.

Contrairement à ce que pourrait laisser croire la dénomination de « rapport », l’appréciation du « rapport bénéfice-risques » ne repose sur aucun critère quantitatif. Ce n’est le plus souvent qu’une synthèse de tout un ensemble de jugements de valeur, flous, dépendants de l’appréciation d’experts tous issus d’un sérail commun. De ce fait, toute analyse scientifique a posteriori de l’évaluation est très difficile. En l’absence de critères standards et quantifiés, toute tentative pour fixer des limites au niveau de risque accepté, qui pourrait déclencher une vigilance accrue et une réévaluation du fameux « ratio » sur des bases objectives en cas de dépassement, est d’avance vouée à l’échec. Chaque nouvelle évaluation du médicament dépend donc de la bonne volonté des autorités, volonté souvent plus influencée par les tempêtes médiatiques ou le lobbying des firmes pharmaceutiques que par la raison pure.

Si le Code de Santé Publique s’appuie bien sur cette notion de « rapport entre les bénéfices et les risques », il se garde d’en définir les contours et se défausse sur l’Agence Française des Produits de Santé (AFSSAPS) pour sa mise en œuvre. Cette dernière n’intègre à ce jour aucune analyse et prise en charge extensive du risque. Si les morts l’intéressent parfois d’un point de vue statistique, ce que deviennent concrètement les survivants d’accidents médicamenteux graves n’est pas de son ressort. Qu’une partie d’entre eux puisse voir ses conditions de vie bouleversées, sans pouvoir accéder à aucune procédure d’indemnisation, encore moins.

Mais puisque la collectivité toute entière jouit, avec l’aval du législateur, du bénéfice des médicaments, peut-elle laisser quelques victimes supporter seules le poids du risque ? Comment compenser cette rupture implicite du contrat social engendrée par une telle disproportion au plan individuel, entre les bénéfices captés par les uns et les risques subis par les autres ?

Car derrière ce concept, c’est bien l’idée de sacrifice qui prédomine. Alors que le vingtième siècle a consacré la responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques, les victimes d’accidents médicamenteux ne bénéficient toujours pas, à l’aube du vingt-et-unième siècle, d’une prise en charge dédiée. Cette responsabilité est supposée mise en œuvre chaque fois qu’un particulier est victime d’un dommage « anormal », c’est-à-dire présentant un caractère certain de gravité, et « spécial », c’est-à-dire résultant de situations ou de mesures par l’effet desquelles certains membres de la collectivité sont « sacrifiés » à l’intérêt général. Il est temps que cette responsabilité se traduise, pour les accidents médicamenteux graves, par une obligation de « réparation nationale » et non par cette « solidarité nationale » proche de l’aumône, définie par la Loi du 4 Mars 2002, mise en œuvre au travers de l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux) et à laquelle, de toute façon, peu de victimes peuvent accéder en pratique.

La prise de médicaments s’apparente encore aujourd’hui à une gigantesque « roulette russe ». Le concept de « rapport bénéfices-risques », qui sous-tend le système, aboutit à ce que la société et les laboratoires pharmaceutiques s’octroient une grande partie du bénéfice, tout en laissant à une poignée de victimes la charge de gérer seule les risques.

Qu’en attendre aujourd’hui ? Que le régulateur fixe des règles du jeu équitables où la collectivité assumerait jusqu’au bout sa responsabilité sur les conséquences de la mise sur le marché d’un médicament à risque. La reconnaissance de l’existence du risque, une obligation de moyens pour le réduire à la hauteur de l’enjeu de Santé Publique qu’est l’iatrogénie médicamenteuse, l’obligation de recherche sur les effets indésirables des médicaments à risque et la prise en charge des conséquences et des indemnisations lors de la survenance de ce risque, sont les actes a minima qui peuvent être attendus d’un état responsable.

Nous, association de victimes d’accidents médicamenteux gravissimes, nous invitons dans le débat. Nous proposons de requestionner fondamentalement cette notion d’évaluation du « rapport bénéfices-risques » et de poser les principes et actions d’une REFONDATION DE LA GESTION DU RISQUE MEDICAMENTEUX.

AMALYSTE propose 7 grands principes et émet 10 propositions

Position d’AMALYSTE sur la gestion du risque médicamenteux

NB: La position d’AMALYSTE a par la suite été publiée par la revue Prescrire (lien vers l’article)