Plaidoyer pour les gueules cassées du médicament

RGDM42coverUn article co-écrit par Laurent Bloch (Institut du Droit de la Santé Bordeaux IV) et Sophie Le Pallec (AMALYSTE) sur les difficultés rencontrées par les victimes d’effets indésirables des médicaments est paru dans l’édition de mars 2012 de la Revue Générale du Droit Médical.

 

L’actuelle législation en matière de responsabilité du fait des défauts des médicaments conduit à accorder une quasi-immunité aux laboratoires. Les victimes d’accidents médicamenteux rares se heurtent en effet à de nombreux obstacles pour faire valoir leur droit, notamment en terme probatoire. Conscient des carences du dispositif actuel, le législateur a multiplié les régimes spéciaux en transférant à la solidarité nationale la dette de responsabilité des laboratoires : vaccinations obligatoires, hormone de croissance, benfluorex… Il serait bien plus satisfaisant de repenser globalement le dispositif d’indemnisation plutôt que de multiplier les lois de réactions indexées sur le pouls des médias. Fin 2011, des associations de victimes d’accidents médicaux ont fédéré leurs efforts pour convaincre le législateur de cette nécessité. Elles demandaient la fin de l’exonération par le risque de développement, la création d’une présomption d’imputabilité, la création d’une action de groupe ad hoc et la création d’un fonds abondé par les laboratoires. En l’état, aucune de ces propositions n’a été accepté.

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Sommaire

I.            L’immunité des laboratoires.           

A.            La preuve de l’imputabilité du dommage au défaut.                 

B.            La preuve de la défectuosité du médicament.                 

C.            Le délai de forclusion.                 

D.            Le délai de prescription.                 

E.            L’exonération par le risque de développement.                  

II.            L’indifférence de l’ONIAM.            

A.            Un débiteur à compter du 5 septembre 2001.                  

B.            Un débiteur à la compétence restreinte.                  

C.            Un débiteur peu solidaire.                  

III.            Le silence du législateur.            

A.            L’impasse de 2002.                  

B.            La reculade de 2011.                   

Notre analyse :

L’article fait le point sur les inégalités en matière de droit applicable aux victimes d’accidents médicamenteux depuis l’adoption de la directive 85/374/CEE sur la responsabilité du fait des produits défectueux, en particulier pour les victimes d’accidents antérieurs à 2001, qui ne bénéficie d’aucun mécanisme d’indemnistion ex-judiciaire et qui se sont vu spoliés du jour au lendemain de leur capacité à agir en justice par l’extinction soudaine de leur délai de prescription.

En effet, alors que la plupart des victimes d’accidents corporels bénéficient d’un délai de prescription de 10 ans après consolidation des dommages, les victimes de médicamants n’ont que 3 ans pour se retourner contre le producteur. Ce dernier bénéficie, en outre, d’une extinction de sa responsabilité 10 ans après la mise en circulation du produit ainsi que d’une exonération de responsabilité, s’il peut prouver que le risque n’était pas connu au moment de la mise sur le marche du médicament incriminé. Autant dire que la victime n’a plus guère de chance de pouvoir légitimer un quelconque recours.

Quant aux victimes d’accidents survenus après le 5 septembre 2001, même si elles doivent en principe pouvoir accéder au fonds d’indemnisation de l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux), les conditions drastiques d’accès, peu adaptées aux spécificités des accidents médicamenteux les en privent en pratique du bénéfice. Ainsi, alors que la prévalence est comparables à celle des accidents nosocomiaux, les accidents médicamenteux ne représentent que 2% des dossiers traités pas l’ONIAM. La charge de la preuve en matière d’imputabilité ainsi que le seuil de dommage minimal de 24% sont les principaux philtres d’accès.

Les associations de victimes regroupées au sein du CLAIM ont tenté sans succès de faire évoluer le droit en matière d’indemnisation des victimes lors des débats sur la loi sur la sécurité sanitaire du médicament en 2011 au Parlement.

Médiator : la Justice, pour que le scandale ait été utile (Rue89)

La FNATH, AMALYSTE et M. Jean-Pierre Sueur, Sénateur du Loiret, ont publié une tribune commune dans Rue89.

Lien vers l’article

Les pouvoirs publics cherchent à nous convaincre, pour couper court à toute réforme d’envergure, que le scandale du Mediator serait le premier d’une telle ampleur. Ne nous laissons pas abuser, depuis de longues années, les scandales sanitaires se succèdent : ThalidomideDistilbène, Mediator… A chaque crise particulière, notre société tente, au mieux, d’apporter une réponse spécifique. Au pire, de l’oublier.

Du précédent dans les scandales sanitaires

Le traitement sans cohérence des drames sanitaires conduit à une injustice et à une discrimination majeure. La surmédiatisation de l’affaire Mediator est à la mesure du silence que les autres victimes doivent supporter. On ne peut accepter le déni actuel à l’endroit, entre autres, des victimes du Distilbène, alors que cette histoire exemplaire est aujourd’hui enseignée comme « modèle » des erreurs à ne pas commettre.

Ce produit, administré en masse aux femmes enceintes jusque dans les années 1980 (1977 en France), a la particularité perverse de toucher non seulement les consommatrices, mais essentiellement leurs enfants, voire leurs petits-enfants.

Évoquons également les victimes des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson, réactions rares aux médicaments, provoquant des atteintes gravissimes sur la peau et les muqueuses. Il est inconcevable que toutes ces victimes doivent – parce que leur pathologie est due à un autre médicament – être les « oubliées » de l’indemnisation.

Victimes : le parcours du combattant

Sans avoir d’autre choix, toutes les victimes ont à supporter, à leurs frais et dans le silence des médias, des années de procédure individuelle, d’expertises et de contre-expertises pour espérer obtenir enfin une reconnaissance de responsabilité et une réparation de leur préjudice. Au bout du chemin, certaines découvrent que parce que le risque était signalé dans la notice, elles n’ont aucun recours légal. Et se voient déboutées.

Pourtant, comme pour le Mediator, les effets indésirables été démontrés. Les dommages irrémédiables causés à leur santé sont le fruit de médicaments ou de dispositifs qui ont été validés par les autorités administratives et politiques, et financés par la collectivité. Le médicament constitue un progrès indéniable pour notre société, et l’industrie pharmaceutique contribue à la richesse nationale, mais la gravité de certains effets dit « secondaires » est à la mesure des avantages procurés.

Une « mutualisation » du risque serait logique

Aujourd’hui, pourquoi ne pas utiliser le scandale du Mediator pour obtenir une réponse générale permettant l’émergence d’un principe de responsabilité globale fondée sur le risque lié à la prise d’un médicament ? Le gouvernement doit se saisir de cette affaire comme d’un levier pour progresser vers une réponse sociale définitive à un risque collectif avéré.

Le profit tiré de la commercialisation d’un médicament est assuré par la solvabilité qu’apportent aux laboratoires pharmaceutiques les remboursements de la Sécurité sociale, laquelle est financée par l’ensemble des contribuables et assurés sociaux. Il ne serait donc pas choquant que, comme pour les risques professionnels, le coût d’indemnisation des victimes soit automatiquement supporté par les entreprises à l’origine de la création du risque. La mutualisation d’un risque collectif, supportée par les laboratoires pharmaceutiques qui en sont à l’origine, présenterait un double avantage : garantir aux victimes une indemnisation rapide, mais aussi, inciter ces entreprises à promouvoir une politique de prévention.

L’effet dissuasif des « class action »

Le scandale du Mediator devrait être également l’occasion de donner aux victimes les moyens de se défendre en permettant des actions judiciaires collectives. L’absence de procédure collective (« class action ») rend le combat bien inégal. Alors que les victimes des scandales sanitaires n’attendent que cela, pourquoi avoir totalement évacué ce sujet des Assises du Médicament ? S’il est sûrement intéressant de réfléchir des heures à la charte de déontologie des visiteurs médicaux ou à la formation continue des médecins, l’effet d’autorégulation induit par l’épée de Damoclès que représentent les « class action » pour un laboratoire pharmaceutique serait, lui, immédiat.

Le choix reste maintenant ouvert : soit notre société apporte une réponse définitive à la responsabilité des médicaments, soit nous reverrons dans quelques années, voire quelques mois, émerger un nouveau scandale sanitaire. Victimes et citoyens, nous attendons une réaction d’envergure et une solution véritablement politique. Sans quoi le Mediator n’aura été qu’un scandale de plus.

Avec Sophie Le Pallec, présidente de l’association Amalyste, Anne Levadou, présidente de l’association Réseau D.E.S. France, Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret.

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