Médicaments: Delphine, “sacrifiée” de l’industrie pharmaceutique

L’une de nos journalistes vient de publier un livre (*) sur la plongée aux enfers de sa soeur, Delphine, qui a frôlé la mort après avoir pris de l’ibuprofène. Elle témoigne de la difficulté de faire reconnaître l’origine de sa maladie.

Il aura suffi de quelques banals cachets d’ibuprofène afin de soulager une migraine persistante pour que Delphine Maillard, 37 ans, bascule irrémédiablement dans une autre vie. En novembre 2007, cette ingénieur et mère de famille frôle la mort durant trois semaines, se transformant en une écorchée vive, aveugle et sourde. Son corps brûlant de l’intérieur.

Comme une centaine de personnes chaque année en France, elle a été victime d’un syndrome de Lyell, peu connu du monde médical. Dans la très grande majorité des cas, il survient à cause d’un médicament, qui génère une réaction immunitaire du corps aboutissant à la nécrose des cellules de la peau. Sept ans après avoir été au service des grands brûlés de l’hôpital Henri Mondor, à Créteil, Delphine garde de graves séquelles, notamment oculaires, et ne s’est jamais complètement remise de cette descente aux enfers.

Des indemnisations très rares

Sa soeur, Elise Maillard, journaliste à BFMTV.com, a voulu raconter sous forme d’un journal de bord la course contre la mort du personnel médical et des proches de Delphine pour la sauver. Un livre (*) qui témoigne également de la difficulté aujourd’hui en France d’obtenir le statut de victime après un grave accident médicamenteux. “Il est quasiment impossible de prouver qu’un médicament vous a rendu malade. Et si on connaît précisément le nombre de morts sur les routes, il n’existe aucune statistique officielle du nombre d’hospitalisés et de décès à cause d’effets secondaires de médicaments”, regrette la journaliste.

Les indemnisations de ces victimes sont tout aussi nébuleuses, comme l’explique à BFMTV.com le député Gérard Bapt, à l’origine du scandale du Mediator. “Quand le risque est signalé dans la notice, et si l’imputabilité peut être prouvée, le patient ne peut que se retourner vers l’Oniam, Office national d’indemnisation des accidents médicaux, (organisme placé sous la tutelle du ministère de la Santé, NDLR) pour être indemnisé. Or, il faut d’abord réaliser une expertise à ses frais, qui coûte cher, et répondre à des critères très précis de gravité. Tout cela pour au final obtenir de faibles sommes. De fait, très peu de victimes se lancent dans ce long combat”.

La banalisation de la prise de médicaments

Dans son livre, Elise Maillard se fait également le porte-parole d’une proposition portée sans relâche par l’association Amalyste, qui rassemble des malades du syndrome de Lyell: créer un fonds spécifique pour les victimes d’effets indésirables, qu’elle surnomme les “sacrifiés de l’industrie pharmaceutique”, en instaurant une taxe sur la vente des médicaments. “Il existe des assurances pour les victimes et leurs proches après tout type de traumatisme et d’accident… sauf pour celui-là”, s’indigne-t-elle.

Loin de vouloir condamner la médecine moderne, sans laquelle sa soeur “n’aurait pas survécu”, Elise Maillard s’interroge sur la banalisation de la prise de médicaments, et notamment ceux anti-douleur. “Quand on a mal au dos ou à la tête, on prend souvent un cachet sans réfléchir aux possibles conséquences. Or, du repos ou quelques étirements peuvent parfois suffire à soulager. A travers la maladie de ma soeur, j’ai pris conscience que les effets indésirables des notices n’arrivent pas qu’aux ‘autres'”.

(*) Les médicaments m’ont tuée, Elise Maillard, Ed. Albin Michel, 17 euros

Lien vers l’article :

http://www.bfmtv.com/societe/medicaments-delphine-sacrifiee-de-l-industrie-pharmaceutique-878592.html

« Les médicaments m’ont tuée » : survivre (ou pas) à un effet indésirable grave (sortie en librairie le 2 avril)

Communiqué de presse – Paris le 2 avril 2015

Delphine a « eu de la chance » : elle a survécu à un syndrome de Lyell. Mais au prix de nombreuses souffrances et de graves séquelles à vie. Elise, sa petite sœur, a tenu un journal pendant son hospitalisation, témoignant de ces jours pendant lesquels l’épiderme de Delphine a comme brûlé vif, fragilisant à l’extrême son organisme et lui occasionnant des souffrances d’une rare intensité. Delphine ne doit sa survie qu’aux soins exemplaires reçus dans une unité intensive spécialisée pour ce type d’affection au service de dermatologie de l’hôpital Henri Mondor (Créteil).

Le syndrome de Lyell est un effet indésirable à un médicament. Dans le cas de Delphine, l’ibuprofène, un anti-inflammatoire disponible en vente libre. Cette réaction incroyablement violente est heureusement très rare, mais elle détruit la vie de nombreuses victimes. Presqu’un tiers en décèdent.

Comme beaucoup de survivants, Delphine doit vivre aujourd’hui avec des séquelles oculaires très handicapantes. Les perspectives d’amélioration sont peu probables, car la recherche sur les séquelles de ces réactions n’est financée ni par l’industrie pharmaceutique, ni par les pouvoirs publics. Comme beaucoup de survivants, Delphine aimerait voir ses préjudices reconnus par la justice. Mais le droit des produits de santé est extrêmement défavorable aux victimes et protège les laboratoires. Ces réactions sont par ailleurs beaucoup trop rares pour pouvoir faire l’objet d’une action de groupe. Delphine sait qu’elle est engagée, seule, dans une procédure extrêmement longue, coûteuse et dont l’issue reste très aléatoire.

C’est pour contribuer à faire connaître la réalité de ces affections et le manque de soutien apporté aux victimes qu’Elise a voulu témoigner du vécu de sa grande sœur. Elle espère contribuer à éveiller l’attention des pouvoirs publics pour mieux protéger les citoyens de telles affections.

Ce témoignage est un écho fort à l’état des lieux et aux recommandations présentées à l’Assemblée Nationale le 13 mars dernier par les associations de victimes de médicaments. Et notamment à la proposition de création d’un fonds d’indemnisation, fonds financé par le prélèvement d’une taxe infime sur toutes les boîtes de médicaments à l’instar de ce qui est déjà pratiqué au Japon et à Taïwan. Un peu comme une assurance en somme ?

Nul doute qu’une telle mesure pourrait contribuer à rassurer les patients qui ne savent plus trop que penser devant les listes à rallonge d’effets indésirables des notices de médicaments, plus destinées à exonérer les industriels de leur responsabilité qu’à protéger les citoyens.

Contact AMALYSTE : contact@amalyste.fr, 0660715102

Liens :
– Lien Albin Michel :

– AMALYSTE, association des victimes des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson

– Lien vers le rapport « victimes d’effets indésirables de médicaments : Etat des lieux et recommandations v1.0 »

– Lien vers vidéos du Colloque « Faut-il repenser le droit des victimes de médicaments » (Assemblée Nationale, 13 mars 2015)

– Page d’accueil de présentation des actions communes interassociatives sur le thème « victime de médicaments : sortir du déni sociétal »

 

Indemnisation des victimes de médicaments : état des lieux et recommandations (rapport)

A l’issu du Colloque à l’Assemblée Nationale, les associations de victimes de médicaments ont rendu publique le rapport sur l’indemnisation des victimes de médicaments, qui dresse un état des lieux (peu reluisant) et émet des recommandations pour améliorer la situation des victimes.

Résumé

  • En Europe, les victimes d’effets indésirables graves de médicaments qui souhaitent obtenir réparation des préjudices subis sont confrontées à un parcours d’épreuves plus insurmontables les unes que les autres.
  • Afin d’obtenir réparation, les victimes doivent :
    • agir avant que leur action ne soit plus recevable ;
    • démontrer le lien de causalité entre une prise de médicament et la survenue de l’effet indésirable à l’origine du dommage (alias imputabilité) ;
    • rechercher une responsabilité.
  • Depuis l’application d’une directive européenne de 1985 relative aux produits défectueux (transposée en France en 1998), les firmes pharmaceutiques n’ont plus d’obligation de sécurité de résultat vis-à-vis des patients. En l’absence de faute ou quand le produit est considéré comme non défectueux (l’effet indésirable figurait dans la notice), ce qui représente la grande majorité des cas, les firmes ne sont pas considérées comme responsables.
  • En pratique, dans les États membres de l’Union européenne qui ont mis en place une procédure de règlement amiable des litiges relatifs aux accidents médicaux, dont la France fait partie, deux voies d’action sont possibles pour les victimes :
    • Si la responsabilité d’une firme ou d’un professionnel de santé est engagée, la victime pourra engager soit une procédure contentieuse devant les tribunaux, celle-ci étant souvent longue, coûteuse et éprouvante ; soit une procédure “amiable” devant le mécanisme d’indemnisation national ;
    • En l’absence de responsabilité pour faute ou lorsque la responsabilité d’un producteur d’un produit de santé à l’origine d’un dommage ne peut pas être engagée (produit non défectueux, exonération par le risque de développement, prescription de l’action), alors la victime pourra se tourner vers le mécanisme d’indemnisation national et la solidarité nationale, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) peut être amenée à indemniser la victime en France.
  • Le système français d’indemnisation amiable par l’ONIAM, mis en place par la loi Kouchner de 2002 relative aux “droits des malades”, a été une avancée importante pour les victimes d’infections nosocomiales et d’accidents médicaux hors affection iatrogène.
  • Cependant, il n’est pas adapté aux victimes d’effets indésirables graves de médicaments (alias aléas thérapeutiques) qui ont notamment les plus grandes difficultés à :
    • démontrer l’imputabilité du médicament dans la survenue d’un effet indésirable, avec de très grandes variations d’interprétation entre les Commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI) et selon les rapports d’expertise établis;
    • démontrer l’atteinte du seuil de gravité élevé requis pour être indemnisé.
    • De plus, la date d’administration du traitement en cause, qui doit être postérieure au 4 septembre 2001, exclut arbitrairement de nombreuses victimes.
  • Une meilleure reconnaissance des victimes de médicaments contribuerait pourtant à davantage responsabiliser l’ensemble des acteurs de santé (notamment les firmes pharmaceutiques, les soignants, et les autorités sanitaires), et par conséquent à une amélioration de la qualité des soins.
  • Après avoir présenté l’état des lieux de la situation des victimes d’effets indésirables graves de médicaments, cette note de synthèse s’intéresse aux moyens d’améliorer la situation des victimes.
  • Nos recommandations concrètes s’organisent en 2 objectifs :
    • améliorer la reconnaissance et l’indemnisation des victimes ;
    • prévenir la survenue d’effets indésirables médicamenteux.
  • En France, dans le cadre de la loi de santé publique en discussion en 2015, la modification de quelques dispositions du Code de la santé publique permettrait de prolonger et compléter les avancées accomplies en matière d’indemnisation des usagers du système de santé par la loi du 4 mars 2002 :
    • les actions de groupe en santé rendraient la voie contentieuse plus accessible aux victimes ;
    • tandis que la création d’un fonds d’indemnisation “produit de santé” spécifique, notamment financé par les firmes pharmaceutiques et dont la gestion serait confiée à l’ONIAM, permettrait aux victimes d’effets indésirables graves de médicaments d’être indemnisées de leurs préjudices en l’absence de responsabilité du producteur. Cette option a déjà été retenue dans plusieurs pays, dont le Japon et Taïwan, et est compatible avec la réglementation européenne (pas de modification de fond du droit de la responsabilité).

Télécharger le rapport 20150222_rapport_indemnisation_victime1.0_COMPLET_FINAL

Indemnisation des victimes de médicament : venez nombreux à l’Assemblée Nationale

Ca y est ! Après plus de deux années de travail intensif, de consultation d’experts, d’auditions de personnalités et de travail collaboratif avec de nombreux acteurs et associations du monde de la santé, le Collectif Europe et Médicament, au sein duquel nous avons initié un groupe de travail sur l’indemnisation des victimes de médicaments, vient d’achever l’état des lieux de l’indemnisation des victimes de médicaments en France.

Le 13 mars prochain, nous participerons à un colloque, organisé par plusieurs associations de victimes et collectifs inter-associatifs*, au Palais Bourbon.

Il présentera les difficultés des victimes d’effets indésirables des médicaments à obtenir une indemnisation, ainsi que des propositions d’amélioration de cette situation.

Dans le cadre du débat parlementaire sur la loi de santé, qui prévoit notamment des actions de groupes en santé, nécessaires mais pas suffisantes, il est primordial que nous puissions mobiliser le plus grand nombre.

Ce colloque “Faut-il repenser le droit des victimes d’effets indésirables des médicaments ?”
se tiendra le matin vendredi 13 mars à partir de 9h, salle Colbert (1er étage du Palais Bourbon).

Ses objectifs sont de permettre de mieux comprendre les difficultés auxquelles les victimes sont confrontées, et de proposer des améliorations :
– instauration d’actions de groupe en santé efficaces, permettant de rendre la voie contentieuse plus accessible aux victimes ;
– mais aussi création d’un fonds d’indemnisation “produits de santé” spécifique devant permettre de rendre la voie amiable plus juste.

Pour vous inscrire en ligne,

il vous suffit de cliquer sur ce lien :
http://f.communique.prescrire.org/c/?s=1306-42-2

Venez nombreux !


Comment administrer un traitement efficace contre les syndromes de Lyell ? (2)

La rapidité de pose du diagnostic est cruciale : plus le traitement sera administré précocement, plus il aura de chance d’être efficace. Mais ces maladies souffrent malheureusement d’un retard au diagnostic : il faut absolument former les urgentistes à poser le bon diagnostic (interview du Pr Roujeau et du Dr Allanore – 2)

Où en est-on de la recherche fondamentale sur le Lyell et le Stevens-Johson ? (1)

Le Pr Roujeau (consortium REGISCAR) et le Dr Allanore (Centre de compétences sur les toxidermies bulleuses – hôpital Henri Mondor) ont accepté de répondre à nos questions lors de l’AG d’AMALYSTE le 11 octobre dernier.

Loi de santé publique française – Actions de groupe : nécessaires, mais pas suffisantes

AMALYSTE est co-signataire du communiqué de presse signé par le CLAIM, le Collectif Europe et Médicament, La FNATH, d’autres associations de victimes (distilbène) et Irène Frachon.

Il y a un an, au moment des discussions autour du projet de loi sur la consommation en France, nous appelions à « élargir et adapter la procédure d’action de groupe au secteur de la santé ».

Nous demandions aussi, dans le cadre de la loi de santé publique alors annoncée pour 2014, des mesures devant enfin permettre une réparation équitable des dommages liés aux produits de santé.

ACTIONS DE GROUPE : EFFICACES A CONDITION DE S’EN DONNER LES MOYENS. Le 19 juin 2014, lors de sa présentation des orientations du projet de loi santé, Madame Touraine, Ministre des affaires sociales et de la santé, a annoncé que « face aux dommages sériels en santé, un droit nouveau pourrait être envisagé : l’instauration d’une action de groupe ». Nous encourageons la Ministre à faire de cette proposition au conditionnel une réalité en France. De nombreux autres pays ont déjà franchi le pas .

Les actions de groupe permettent à des victimes caractérisées par une grande similarité des situations de se regrouper. Ce regroupement favorise la constitution de dossiers bien documentés (partage des éléments de preuve rassemblés), donc la procédure judiciaire.

L’expérience des autres pays montre cependant que certaines conditions sont nécessaires pour garantir l’efficacité des actions de groupe, par exemple : l’accès aux actions de groupe doit être le plus large possible ; dans certains cas, les dommages et intérêts doivent pouvoir être punitifs afin de remplir une fonction dissuasive.

POUR UNE REPARATION EQUITABLE DES DOMMAGES LIES AUX PRODUITS DE SANTE. Se limiter aux actions de groupe ne suffira pas réellement à améliorer la situation des victimes d’effets indésirables médicamenteux. Une évolution du droit européen et du droit français est nécessaire pour rétablir des régimes de responsabilité plus pertinents. En effet, depuis l’application d’une directive européenne de 1985 relative aux produits défectueux (transposée en France en 1998), les firmes pharmaceutiques n’ont plus d’obligation de sécurité de résultat vis-à-vis des patients, disposant dès lors d’une quasi-immunité.

En France, la loi relative aux droits de malades de 2002 (loi Kouchner) prévoyait que, dans certains cas, la solidarité nationale puisse indemniser les victimes d’effets indésirables quand les fabricants ne pouvaient pas voir leur responsabilité engagée. Cependant, en pratique, une minorité de victimes sont indemnisées par la solidarité nationale (Office national d’indemnisation des accidents médicaux, ONIAM). C’est en effet sur les victimes que repose la charge de la preuve, et elles ont des difficultés majeures à faire reconnaître l’imputabilité du médicament dans la survenue du dommage face aux experts. De plus, leurs séquelles sont souvent sous-estimées, ne leur permettant pas d’atteindre le seuil de gravité très élevé requis pour être indemnisées.

ÉCOUTER LES VICTIMES. Conjointement avec d’autres organisations et des associations de victimes, le Collectif Europe et Médicament publiera prochainement un état des lieux détaillé de la situation, permettant de prendre la mesure des difficultés des victimes.

Nous présenterons aussi nos recommandations concrètes d’amélioration, notamment :

  • rétablir, au niveau européen, le régime de la responsabilité des firmes avec obligation de sécurité de résultat vis-à-vis des patients. La France peut être l’État membre moteur de cette évolution qui bénéficiera aux patients de l’ensemble de l’Union européenne ;
  • rendre publiquement accessibles l’ensemble des éléments permettant à la victime d’étayer l’imputabilité médicamenteuse. Au-delà des données administratives de l’assurance maladie (open data), il s’agit aussi et surtout de permettre l’accès public : aux résultats détaillés des essais cliniques, comme le prévoyait l’Agence européenne du médicament (EMA) avant de faire marche arrière sous la pression de la Commission européenne et des accords commerciaux de libre échange transatlantiques ; et à la base française de pharmacovigilance (observations détaillées mais sous forme anonymisée) ;
  • améliorer le fonctionnement de l’ONIAM, le mécanisme français d’indemnisation en cas d’aléas thérapeutiques ou de procédure par la voie amiable : réduction du seuil de gravité afin d’exclure moins de victimes aux séquelles graves mais sous-estimées ; création d’un régime spécial de responsabilité pour les médicaments figurant sur la liste des médicaments sous surveillance supplémentaire ; etc.

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