Mission Médiator du Sénat : AMALYSTE auditionnée

AMALYSTE a été auditionnée le 6 avril 2011 par la Mission d’Information du Sénat sur le médiator, présidée par M. le sénateur François Autain et dont le rapporteur est Mme la sénatrice Marie-Thérèse Hermange.

AMALYSTE a fait valoir les difficultés rencontrées :

1) par les associations de victimes pour faire prendre en compte par l’AFSSAPS le risque lié au médicament remontée par l’association (ex : lamotrigine, allopurinol…) et

2) par les victimes elles-mêmes, pour être prises en charge et être indemnisées.

 

 Rapport d’information fait au nom de la mission commune d’information sur : “Mediator : évaluation et contrôle des médicaments” – Tome II : Auditions

Compte-rendu de la Mission

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M. François Autain, président. – Je vous rappelle que cette réunion est ouverte à la presse et fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement, sur la chaîne Public Sénat.

Je vous donnerai la parole à tour de rôle et nous vous poserons ensuite un certain nombre de questions.

Je cède la parole à Mme Sophie Le Pallec.

Mme Sophie Le Pallec. – Je vous remercie, monsieur le Président, de nous donner l’occasion d’exprimer notre point de vue et de faire connaître l’association Amalyste.

Nous représentons les victimes des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson. Ces maladies sont des réactions très graves qui se traduisent par un décollement brutal de la peau et des muqueuses, ce décollement pouvant être très étendu. La victime doit impérativement être prise en charge dans une unité spécialisée. La douleur est extrême et il y a 30 % de décès. 90 % des cas sont dus à des réactions médicamenteuses ; certains peuvent être liés à une infection à mycoplasmes. Une douzaine de molécules ont été identifiées ce jour comme étant à risque élevé de syndrome de Lyell parmi lesquelles les sulfamides anti-infectieux, certains anti-inflammatoires, certains anti-épileptiques, l’allopurinol et la névirapine. D’autres médicaments sont impliqués mais ne présentent pas un risque aussi élevé.

Cette maladie est orpheline, avec 150 cas par an en France et un millier dans l’Union européenne. Il s’agit également d’une maladie chronique puisque 95 % des survivants gardent des séquelles invalidantes et évolutives. Nous avons eu du mal à démontrer que les personnes ne s’en sortaient pas indemnes. L’identification du médicament est très difficile du fait de l’effet retard entre la prise et la réaction. Les moyens donnés à la recherche sont très insuffisants tout comme la prise en charge des séquelles, sauf pour les séquelles oculaires. De nombreux traitements ne sont pas pris en charge s’ils concernent la peau, les yeux ou les dents. En 2003, un dispositif innovant est apparu : il permettait de changer radicalement la vie des malades et les victimes ont dû payer pour mener l’étude afin de prouver les bénéfices d’un dispositif et d’obtenir la prise en charge par rapport à la sécurité sociale.

Ce qui caractérise ces réactions, par rapport au Mediator, c’est que le risque est souvent accepté, sans retombées médiatiques, alors qu’il y a autant, voire plus de victimes, que pour le Mediator. Sur les quatre dernières années, il y a eu entre 450 et 500 victimes, 150 décès. Sur les trente-trois dernières années, il y a eu entre 3 500 et 4 000 victimes et environ 1 000 ou 1 200 morts en France.

Amalyste a été créée en 2002 et est agréée depuis 2007 : nous sommes une association de patients et de victimes. Nous luttons pour une meilleure prise en charge, pour la recherche et pour l’indemnisation. Nos partenaires sont le Centre national des maladies rares, situé à Henri Mondor à Créteil, qui a de nombreux centres affiliés en régions ainsi qu’un registre européen dont le copilote est situé en France. Nous essayons d’amener une vision d’ensemble sur la gestion du risque. Nous aurions souhaité que cette gestion globale du risque puisse intégrer en amont l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et en aval l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Une gestion correcte du risque devrait effectivement intégrer toute cette chaîne, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Je souhaite aborder deux thèmes liés à l’évaluation et au contrôle du médicament, mais aussi à notre expérience d’association de victimes.

La surveillance du risque et le système de pharmacovigilance ne reposent pas sur un système d’information décisionnel. Le système d’information de la pharmacovigilance consiste en effet à comptabiliser, en entrée, l’organisation des risques et les effets indésirables des médicaments, notamment à travers la notification spontanée, mais il n’est pas, en sortie, un véritable outil d’aide à la décision. Mettre en place un véritable outil d’aide à la décision constitue l’un des grands enjeux de la pharmacovigilance, avec celui de la sous-notification patente des effets indésirables. Le système actuel ne permet pas d’automatiser le déclenchement des alertes lorsque le risque n’est plus acceptable. Pour déclencher une réévaluation, il faut soit attendre la fin du délai de surveillance des cinq ans, soit une décision du directeur de l’Afssaps. Ces deux procédures ne peuvent être efficaces. Le délai de cinq ans est, à notre sens, complètement artificiel : le critère pertinent pour mesurer le risque d’un médicament n’est pas le temps mais plutôt celui de la population exposée à la substance active pour la première fois. Cette population s’estime en fonction du niveau de risques qu’on cherche à détecter, en la majorant du taux de sous-notification des médicaments. Pour détecter un risque d’1 sur 10 000 nouveaux utilisateurs et qu’on suspecte que ce risque n’est notifié qu’une fois sur deux, comme c’est le cas pour le Lyell, la population pertinente est alors de 20 000 personnes. La décision du directeur de l’Afssaps n’est pas très efficace : quand on a un portefeuille de 5 000 molécules, il faut disposer d’un système d’aide à la décision pour générer automatiquement des alertes. A notre sens, il manque, en amont de la procédure pour générer les alertes, la fixation d’un niveau de risque attendu et d’un seuil maximum d’acceptabilité du risque, quand on accepte un risque et autorise la mise sur le marché du médicament. Pour les médicaments causant du Lyell, nous n’avons pas de visibilité sur le niveau de risque qui n’est plus acceptable et induirait une réaction de l’Afssaps. En 2001, l’Afssaps a suspendu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des sédatifs légers qui contenaient du phénobarbital au motif que ces médicaments avaient un service médical rendu (SMR) insuffisant et qu’ils avaient provoqué, sur douze ans, une douzaine de cas de Lyell. En cinquante ans, ce médicament avait sûrement provoqué cent cas de Lyell : pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour retirer un tel médicament ? En 2005, l’Afssaps a ordonné le retrait des immunostimulants au motif d’un SMR insuffisant et d’effets indésirables (type crises d’asthme, purpura, oedèmes du visage et d’un cas douteux de Lyell). La victime de ce syndrome de Lyell a toutefois été déboutée quand elle a été devant l’Oniam pour obtenir une indemnisation, au prétexte que son cas était douteux. Le doute profite donc toujours à l’administration qui s’en prévaut pour retirer une AMM, mais aussi pour refuser une indemnisation. Aujourd’hui, nous avons un problème avec la lamotrigine, anti-convulsant, et l’allopurinol. La lamotrigine a été mis sur le marché en 1995 : après la fin de la période de surveillance, dans les années 2000, les ventes ont explosé, ainsi que le nombre de victimes. Malgré cela, l’indication a été étendue aux maladies bipolaires, sans plan de gestion de risque, alors que ce médicament est le second pourvoyeur de Lyell en Europe. L’allopurinol est un médicament contre la goutte qui a un problème de mésusage puisqu’il est prescrit deux fois plus que la prévalence connue de la goutte et est le premier pourvoyeur de Lyell.

M. François Autain, président. – Ce médicament figure-t-il dans la liste des soixante-seize médicaments sous surveillance ?

Mme Sophie Le Pallec. – Non. Et nous n’avons pas de visibilité sur le niveau maximum de risque acceptable qui permettrait de construire un système d’information pertinent.

Pour ce qui est du problème de l’indemnisation, Amalyste pense que l’Oniam devient une compilation de fonds spécifiques, créés au gré des diverses crises sanitaires : il existe ainsi le fonds d’indemnisation des victimes HIV-hépatite C par transfusion, le fonds d’indemnisation des victimes de la vaccination obligatoire… On parle maintenant de créer un fonds d’indemnisation spécifique pour les victimes du Mediator. Le risque est que, dans vingt ans, l’Oniam ne soit plus qu’un chapelet de fonds d’indemnisation que personne ne comprendra. Nous pensons qu’il faut sortir de cette impasse par le haut, que les crises sanitaires ne doivent pas conduire à ce que les victimes dont les maladies ont les honneurs de la presse soient mieux traitées que les autres victimes des médicaments mais, au contraire, que ce scandale soit l’occasion pour les politiques de mettre en oeuvre une gestion global du risque médicamenteux. Le médicament est un produit à risque. Le modèle qui préside à son acceptabilité pose toutefois problème : il est encadré par la notion de balance bénéfices-risques et légitime l’idée qu’on puisse sacrifier une minorité pour le bien-être du plus grand nombre. Si cette position est défendable, nous n’acceptons pas que cette inégalité ne soit pas réparée dès le début et qu’on ne pose pas le principe que le risque doit être indemnisé. Si un médicament apporte un progrès social au plus grand nombre, il convient toutefois que les quelques personnes qui subissent des effets indésirables très graves bénéficient d’une réparation, ce qui n’a pas été pensé par le régulateur à l’origine.

M. François Autain, président. – Il semblerait en outre que ce risque ne soit presque jamais indemnisé.

Mme Sophie Le Pallec. – Le risque n’est pas pensé comme un risque assurable et indemnisable. Depuis 1988, date où la directive sur les produits défectueux aurait dû être transposée en France, le juge considère que, si le risque figure dans la notice, le risque est légitime et ne donne pas lieu à indemnisation. Il n’existe alors plus d’obligation de sécurité absolue mais seulement relative ; la notice devient un parapluie juridique pour les laboratoires qui sont complètement déresponsabilisés de la faute, mais aussi du risque. Les victimes entre 1988 et 2001 n’ont aucune possibilité de recours.

L’Oniam ne résout pas le problème des accidents médicamenteux, qui ne représentent que 2 % des dossiers. Certaines problématiques ont été résolues, avec la création de la notion de la solidarité nationale, mais l’Oniam n’a pas résolu le problème de la charge de la preuve. L’imputabilité d’une réaction à un principe actif ne peut être démontrée sur le plan individuel mais c’est pourtant ce qui est demandé aux victimes. Quand on autorise la mise sur le marché d’un médicament, on doit prouver le bénéfice et le risque sur un plan statistique. Il faut donc accepter les démonstrations sur le plan statistique, ce qui n’est pas évident : nous pouvons faire ressortir des niveaux de risques élevés mais ne pouvons démontrer le risque pour les molécules à risques moins élevés.

Nous avons des propositions simples.

M. François Autain, président. – Vous m’avez effectivement fait parvenir un document récapitulant vos propositions que nous mettrons à disposition de la mission.

Mme Sophie Le Pallec. – Le risque d’effet indésirable, surtout lorsqu’il est spécifié dans la notice, doit être assuré : il doit y avoir une obligation d’assurance pour le producteur, quelle que soit la forme d’assurance choisie. Le coût du risque doit être intégré dans le coût du médicament : comme il sera répercuté sur le payeur final, la sécurité sociale, cette proposition ne changera pas tellement le modèle économique des laboratoires pharmaceutiques tout en apportant une réponse à un problème sociétal.Le fait que le risque soit mentionné dans la notice doit constituer une présomption de preuve pour la victime. Cette mention doit se traduire, pour le producteur, par une obligation de mettre en place un vrai plan de gestion des risques.

M. François Autain, président. – Merci.